mercredi 29 février 2012

Assez-Pas Assez

- J’en ai assez.
- …
- …
- De quoi ?
- … Je ne sais pas. De tout, de tellement de choses, je ne sais pas… Et j’en ai assez de ne pas savoir, aussi. Surtout. Je m’énerve moi-même, je me trouve énervant… Et je ne sais pas ce que je dois changer, sur quoi je dois appuyer… J’ai juste envie de dire : j’en ai assez, et j’en ai assez de le dire.
- Bien. Vous allez dire « J’en ai assez » et vous allez mettre la première idée qui vous passe par la tête juste derrière. Allez-y.
- J’en ai assez des clips, de cette dictature de l’image, de cette obligation de mettre des images sur la musique. On écoute sur youtube… Alors qu’une des choses les plus formidables dans la musique, c’est de faire naître des images, de raconter des histoires, avec des mots et sans.
Ca, j’en ai pas assez des histoires. Quand Mc Carthy raconte Le Grand Passage, je n’en ai jamais assez, je prends mon temps, je voudrais que ça dure toujours. Quand Stuart Staples raconte les histoires de The Something Rain, je lui demande de me les re-raconter dès qu’il a fini… Ca, c’est beau. C’est utile, c’est bon... C’est beau.
- …
- …
- Je suppose qu’on ne regarde rien alors ?
- Non, on écoute.

mardi 28 février 2012

Serre le poing, s'il te plaît.


Je me souviens du chausson aux pommes après la prise de sang. Du chausson aux pommes, et du croissant (après une longue nuit à jeun et tout ce sang en moins, forcément…).
Je me souviens que j’adorais ce moment, avec Maman. Comme une vraie fête. 
On s’asseyait dans le salon de thé de la pâtisserie, avenue de Grasse, on commandait un jus d’orange et un lait chaud et après j’avais mal au cœur, mais tant pis (“... si, si, tu es en manque de vitamines, mon chéri.”). 
C’était tellement chic. C’était différent surtout, pas comme les autres jours. Et je crois que sans le savoir, c’est pour ça que j’aimais autant la petite aventure de la prise de sang. Pas tant pour la formidable dose d’autosatisfaction apportée par mon comportement héroïque face à l’aiguille que pour ce petit-déjeuner dehors et son croissant au beurre du jour à la place du pain ordinaire de la veille.
Ce matin, en sortant de ma prise de sang, je me suis souvenu de ce plaisir-là. Je suis allé chez “l’ex-Chamignon“ et j’ai commandé un chausson aux pommes et un croissant (pas de lait chaud ni de jus d’orange, j’ai passé l’âge de vomir) et je me suis assis là, face à l’église. J’ai attendu le retour de l’émotion en buvant mon café… Mais l'émotion n’est pas revenue. Elles sont bonnes pourtant, les viennoiseries chez “l’ex-Chamignon”. Mais non, c’était pas la fête, c'était juste un petit déjeuner. Parce qu'il manquait l'effet du lait au jus d'orange, peut-être... Ou parce qu'aujourd'hui, l'extraordinaire demande une barre un peu plus haute... Ou bien parce que, ce matin, ma maman n’était pas là pour me trouver fort et beau...


lundi 27 février 2012

L'Etre et le Neon

Jean-Michel Alberola

Saviez-vous que la plupart des néons n'en sont pas ?
En fait, seuls les rouges contiennent du néon.
Dans les blancs, c'est du dioxyde de carbone ;
dans les jaunes, de l'hélium ;
et de l'argon et du mercure dans les bleus.
Moi je l'ignorais. C'est fou comme je ne sais rien.
Mais je l'ai trouvée jolie, cette expo à la Maison Rouge.
Bertrand Lavier
Joseph Kosuth

Ceryth Wyn Evans
Alan Vega

vendredi 24 février 2012

Abu Firas Al-Hamdani

Qu’on ne me dise pas, à moi, ce qu’est la guerre
Je m’en nourris, j’y bois : je n’ai pas eu d’enfance
Tout en moi se souvient ; les grands coups de rapière
Ma peau déchiquetée au flamboiement des lances
J’ai plongé dans le temps, ses joies, ses cruautés
J’ai payé de ma vie, et n’ai jamais compté

Extrait de Les Byzantines, la voix d’un prisonnier
Anthologie poétique établie et traduite de l’arabe par André Miquel
Editions Sindbad/Actes Sud


J'ai appris le chagrin, les sanglots, je les tiens
Des yeux d'une gazelle au plus noble maintien 
Chaque fois que la paix me visite, aussitôt
Une oeillade me vise et frappe sans défaut
D'une flèche après l'autre, en allant droit au coeur
Affolante tueuse, assassine langueur
A ce furieux amour est-il quelque soutien 
A ce mal obsédant est-il quelque médecin ?
Toi qui fautes si bien et tellement me grondes
Que je tiendrais pour miens tous les péchés du monde 
Accepte de me voir ou fuis à ton bon gré 
Dût un seul coeur, le mien, rester affligé
Tu as pour corps l'amour, des fleurs blanches pour dents
Un rameau pour la taille et pour souffle l'orient 
Tout révèle l'amour, même si tu dis non :
Les signes de l'amour, les regards, les soupçons 
Que je sois loin de toi ou te revoie, toujours
Je me défais, dans les tourments du mal d'amour
Sommes-nous près ? Tout est gâté par tes refus 
Unis ? Tout est gâté par la peur d'être vus 
Laissez-moi donc avec mes pleurs, ô mes amis :
C'est dans les pleurs que le chagrin trouve un répit 
Que dire de l'amant, de cette sainte ardeur
Qui fait à l'être aimé offrande de son coeur


Extrait de Les Arabes et l'amour 
Anthologie poétique traduite de l'arabe, présentée et annotée par Hamdane Hadjadji et André Miquel
Editions Sindbad/Actes Sud



Abu Firas al-Hamdani est un poète, chevalier et prince arabe né à Mossoul en 932 et assassiné à Homs en 968.


mercredi 15 février 2012

Petit Cours Muet de Japonais



( … 
Non, vous ne pouvez pas dîner dans cette pièce.
Il y a une valise.
Votre valise.
Une valise invite à voyager. Pas à manger.
Ailleurs, c’est l’été. Ou l’hiver…
Ici, c’est l’automne.
Les fleurs viennent du jardin, les champignons du bois voisin.
A l’aube, le poisson nageait encore dans la rivière Sukumo.
Laissez-moi prendre votre valise, je vous en prie.
… )

mardi 14 février 2012

Western Haïku n°16


Les canards cancanent 
Volée de flèches dans le ciel 
Maudite eau de feu

jeudi 9 février 2012

Boucles

Encore une fois. Là et puis plus. Plus là. Plus loin. Plus tard. Plus vieux. Cheveux blancs bleus. Et puis là, re.  Ou presque. Pas pire, pas mieux. Pas perdu, donc. Revenu. Pas de tout. Mais là. Parce que, voilà. Comme ça. Sans chercher. Les yeux fermés, le nez sur les pieds. A cheval, en voiture. Tout autour de la terre. Ronde comme un pamplemousse, comme hier, la lune rousse. Revenue pleine dans le quartier. Torpeur sur la ville. A l'arrêt. Et moi. Là. Souriant comme un dément au milieu des chiens jaunes et des enfants. Sous la lune exactement. Revenue, la promise. Et ses nuits difficiles dans la valise. Ploc fait un flocon sur mon front. Bouclant trois cheveux. Mis au pli. Allez, au lit.

mercredi 8 février 2012

Christmas Card From A Hooker In ...

New York, 27 décembre 2011. 
Dans la caisse verte, sous le drap bleu, il y avait des cadeaux de Noël, des centaines de cadeaux. Oubliés là par un Père Noël sénile ou bourré... Vous n'êtes pas obligé de me croire, de toutes façons, ils n'y sont plus.

lundi 6 février 2012

Husbands (RIP)

J'ai vu Husbands à Paris (au Champo je crois, mais peut-être pas) en 1985 ou 86. De Cassavetes, à l'époque, je n'avais vu que Gloria (à la télé) et j'avais trouvé ça bien, mais Gloria, c'est différent. 
Quand Husbands a commencé, dès les premières secondes, j'ai découvert un nouveau monde, un monde puissant et étranger où un générique de photos et une scène d'enterrement (avec la perche du preneur de son dans le cadre... je me souviens m'être demandé si Cassavetes l'avait fait exprès et pourquoi...) faisait exister les gens comme jamais. Ces trois amis qui se retrouvent autour de la tombe du quatrième et qui vont dériver dans Londres en animaux philosophes sont juste impossibles à oublier (comme cette idée de qui quittera le groupe en premier, pour quiconque fait partie de ce genre de groupe qui ne s'imagine séparé que par la mort / si, ça existe). 
Je ne sais pas qui était le comédien dans le cercueil, mais en 1985, les trois autour étaient vivants. Vendredi dernier, Ben Gazzara est mort à son tour et c'était le dernier des trois mohicans. De la famille Cassavetes, il ne reste que Gena Rowlands et Seymour Cassel, et je vois mal quel réalisateur oserait les faire tourner ensemble. Il reste leurs films, dont l'invisible Husbands, jamais édité en DVD dans nos contrées, quasiment jamais distribué (dont même le vilain smart torrent refuse le tranfert). Honte et misère.
Alors on se console sur youtube...

vendredi 3 février 2012

The West, The Warm, The Sunny South

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- Je voudrais danser. 
- Euh, d’accord. 
- Non, pas avec vous. Je voudrais savoir danser… Ou plutôt oser danser, même sans savoir. 
- Ah... 
- Vous êtes déçu ? 
- Non, non. 
- Mais… 
- Non, mais rien… Je ne pensais pas que vous aviez ce problème-là. 
- … 
- Non, je n’ai pas dit AUSSI ce problème-là. Je suis juste surpris que danser soit un problème pour vous. 
- Vous me connaissez mal, hein… 
- Ha. Ha. Très drôle. 
- Non, en fait, danser est un problème que j'arrive à surmonter après quelques verres, mais j’aimerais danser à jeun. 
- A jeun ? 
- Oui, enfin pas avec rien dans le ventre, mais sans boire, quoi. 
- Oui, bien sûr. 
- Alors ? 
- Et vous voulez régler ce problème rapidement, j’imagine… 
- Aujourd'hui, ce serait bien. 
- Vous allez à une fête ce soir ? 
- Non, mais je viens de découvrir un titre et j’ai envie de l’écouter tout le temps, le problème, c’est que dès que je l’écoute, j’ai envie de danser mais comme je partage mon bureau avec pas mal de monde, ça me gêne un peu de danser devant eux… 
- … 
- … 
- Vous écoutez de la musique au bureau ? Fort ? 
- Oui. 
- Et ça ne dérange pas vos collègues ? 
- Je sais pas. 
- Ce qui vous gêne, c’est de danser devant eux ? 
- Un peu. 
- Vous avez de sacrés problèmes, quand même… On peut l’écouter, ce titre ? 
- Ben oui.

jeudi 2 février 2012

Petite Impro Sans Musique


J’ai appris à lire en déchiffrant les plaques minéralogiques. 
En dévisageant les calandres des autos, les marques et les modèles sur les capots, 
et tous les chiffres. 
Déchiffrant les lettres (la langue est curieuse)…
J’ai appris à lire à l’arrière d’une 2CV, à l’envers dans les rétros.
Alpine, Jaguar et Coccinelle, Dyane et Capri, Méhari…
Dans les gaz d’échappement, pétaradait la poésie.