jeudi 15 novembre 2012

A la recherche du temps vertical


A Vienne, on trouve un horloger dans chaque rue (vous pouvez vérifier, c'est la stricte vérité), et des horloges à chaque carrefour, sur toutes les places, et même au fronton de la cathédrale. Cela ne doit absolument rien au hasard, c'est même tout ce qu'il y a de plus raisonnable. C'est parce qu'à Vienne, le temps ne passe pas à la même vitesse qu’ailleurs. Ca vous saute aux yeux. Vous ne verrez jamais un Viennois courir, par exemple. On ne court pas quand on a tout son temps, et ici on a tout son temps parce qu’ici le temps passe plus lentement. Et ça ne date pas d'aujourd'hui. Dans tout le premier arrondissement, on ne trouve aucune trace (d'architecture ou d'autre chose) postérieure à 1920. Le promeneur parti de chez lui en 2012 doit s’y résoudre : il arpente là les rues d’une capitale européenne au début du XXe siècle. Et si le temps passe ici plus lentement que dans le reste du monde, c’est justement parce qu’on est précisément au centre du monde. Je l’ai senti dans mon corps. A Vienne, la terre tourne moins vite. C'est net. Tellement moins vite qu’elle ne tourne presque pas. L’eau qui s’écoule au fond des lavabos s’y introduit sans décrire aucun mouvement circulaire, et nul gros buveur de liquides alcoolisés ne trébuche jamais sur les pavés pourtant si traîtres de la Stephansplatz. Je vous parle d’expérience. Et s'il n'est pas question de temps vertical, à Vienne, on n'évolue pas pour autant dans un ordinaire déroulé horizontal. On flotte, on souffle, on parenthèse au coeur d'une douce incurvation bienveillante, et on oublie l'espace de quelques heures de regarder celle qu'il (n')est (pas).

lundi 5 novembre 2012

Ces deux-là

Anne aime les Impromptus de Schubert.

Les pantoufles de Georges, ce sont des baskets.

Anne veut voir les albums photos maintenant. Oui, maintenant, au milieu du repas, au milieu des assiettes. Ca ne peut pas attendre. S’il te plaît. Elle pousse les miettes, tourne les pages, vite. Et elle dit : c’est beau la vie, la longue vie.

Georges ne se plaint pas. Georges est vivant, Georges a vécu. Georges ne parle pas pour ne rien dire. Il dit ce qu’il pense, ce qu’il pense utile, ce qu’il pense utile à dire. Georges ne dit pas ce qu’il fait. Il peut dire ce qu’il a fait, et pourquoi, si ça peut aider quelqu’un, de comprendre ce qu’a fait Georges et pourquoi. Georges est d'accord pour parler sérieusement. Mais si on peut éviter de lui poser des questions inutiles, si on peut simplement lui faire confiance, c’est aussi bien. C’est mieux. Georges ne se cache pas derrière les mots. Il les choisit. Alors Georges parle. Il raconte des histoires, des souvenirs, parfois même il chante.

Anne demande peu. Anne demande le minimum. Le minimum de mots tristes, ceux qui soulignent ce qu’on sait déjà trop. Anne demande le minimum de laideur. Et s’il n’y a plus rien à dire, un sourire suffira. Et si personne ne peut plus sourire, alors on s’arrêtera là.

Georges offre des fleurs à Anne.