lundi 31 octobre 2016

Sex Toys (Present tense)

- Salut.
- Salut.
- Je me disais un truc l’autre jour...
- Oui ?
- Oui, en roulant pour la millième fois sur la piste cyclable du boulevard Rochechouart, j’ai vu un néon Sex Toys comme je l’avais jamais vu.
- C’est-à-dire ?
- Hyper joli. Ca m’a fait un choc, je me suis arrêté.
- … les couleurs ?
- Non. Enfin oui, mais non. Pour les mots. Deux mots très beaux, chacun et ensemble. Sex et Toys. Le cul des grands, les jouets des enfants. La fête, les cadeaux.
- Ah d’accord.
- Bah, oui. Noël, quoi!
- Ah oui, oui, je vois... Et vous êtes venu me dire ça ?
- Bah oui.
- Oui, pourquoi pas…
- Je pensais que ça vous intéresserait plus que ça. Cette capacité à voir les choses d’un œil neuf, au présent, en se lavant de l’habitude…
- Je dois être coincé un peu…
- Oui, j’ai l’impression. C’est con quand on fait votre métier. 
- Vous croyez ?
- Bah je sais pas, un peu. Vous devriez allez regarder ce néon comme je le vois. C’est tellement gai. Ca fait du bien.
- …
- Ah oui, vous êtes vraiment coincé…
- Oui, j’ose à peine vous demander si on regarde quelque chose aujourd'hui…
- Oui, on regarde un truc. Joli comme un néon.

vendredi 28 octobre 2016

Le centre du monde

Il a tout de suite su que c'était là. Au passage de l’embrasure, le tumulte avait disparu. Sa respiration s’est posée, son corps s’est calé. Il a considéré l’endroit, sans le détailler, mais avec précaution. Comme on tombe sur une biche à l’orée d’un bois. Dans l’air flottait un souvenir de pain grillé, et autre chose de rassurant : ambre, santal, peut-être, ou seulement le chêne de l’escalier.
Une minute passe, ou plusieurs. Il s'est habitué à la pénombre. Après un regard circulaire pour s'approprier les volumes, il ose un oeil dans les pièces voisines. Il est prudent, mais sa curiosité lui semble légitime.
Personne pour créer la moindre interférence, pas une voix, à peine quelques pas à l’étage, une porte qu’on referme sans hâte : mieux qu’un silence.
Il est une oreille dans l’espace qui l’entoure, et la musique qui n’y est pas jouée est à l’exact tempo de son cœur. L’air aussi est d’une douceur précise. Pas de climatisation bien sûr, mais d’imperceptibles courants d’air qui se chargent de maintenir la température idéale. Un rayon de soleil se hasarde dans l’entrée, et reflue.
Il le sait, ici on peut écarter les bras, courir comme un jeune cocker, danser les yeux fermés ou regarder le plafond si l’on préfère, les angles ne vous cogneront pas, vous avez le plan en mémoire, c’est vous qui l’avez dessiné dans une autre vie. Vous pouvez chanter ou crier, les sons ne rebondiront pas, même le parquet ne grince plus depuis cent ans au moins. Tout sonne exactement comme il doit sonner. C'est ici que Gainsbourg a enregistré Melody Nelson, ou bien il aurait dû. 
Les couleurs ont été choisies pour rapprocher le jour de la nuit. Il le note, et le notant réalise qu’il n’est plus un cocker mais un chat. Une porte en profite pour s’ouvrir sur un humain qui s'adresse à lui sans prononcer un mot. Pourtant le message est clair : vous pouvez baisser la garde, Chevalier ; ne vous retournez pas, vous êtes à votre place ; avancez, on vous attendait. L’humain qui l’informe ainsi est si naturellement chaleureux qu’un peu de magie n’est pas à exclure. Magie noire et bleue. Coltrane et Keith Richards. Avec une pointe de rouge. Klein, William. Ou Guy Bourdin. La note est bleue, mais chaude. Qu’elle vienne quand elle veut. Maintenant c’est mieux.
On peut raisonnablement imaginer qu’un lieu soit propice à l’expression d’états ou de sentiments particuliers, et que témoin de ces états, celui-ci s’en imprègne et favorise par-là même leur réitération, s’en imprégnant davantage à chaque occasion et densifiant probablement à mesure le caractère fantastique de son pouvoir. Il pourrait le dire à peu près comme ça, mais il pense plutôt à un autre triangle des Bermudes ; une terre sacrée qui déréglerait radars et boussoles ; un champ magnétique qui détacherait le visiteur du passé autant que de l’avenir – qui rendrait l’avenir dispensable. C’est là qu’il se trouve. Ici et maintenant. Comme avant la lumière. Ou avant encore, sur l’impossible scène du crime de sa conception, peut-être. Non, n'exagérons rien. Il se sent chez lui, comme jamais, sans bien savoir ce que cela veut dire. Mais il veut rester là. C’est là qu’il se passera quelque chose si quelque chose doit se passer. Dehors, on ne pourra que meubler. Quel intérêt de s’agiter davantage. Pour ce qu’on a appris, franchement. Et puis, les enfants sont faits maintenant. Ils finiront de cuire tout seul. Ils iront plus vite, espérons. Il est temps de penser à la vie. Il est tard, mais il sait où chercher.


mardi 25 octobre 2016

Coloured sculpture ?

Les chaînes se déroulent d’un coup et sa tête s’écrase sur le sol. Traumatisme crânien assuré. Les moteurs enroulent les maillons, il se redresse, se retourne, nous regarde. Les chaînes se déroulent à nouveau, il s’écrase à nouveau, tête la première. La lourdeur des chaînes ; le son mat de sa tête qui cogne par terre encore et encore. Les traces grises que laisse son corps traîné sur le sol blanc depuis quand ?
C’est Guignol pour adultes. Le gendarme a gagné, on ignore au service de qui ou de quoi. Le public peut bien crier, Guignol a perdu. Et il morfle sérieusement, le gars. Personne ne viendra le délivrer, ça vaut pour toutes ses victoires faciles, on imagine.
Ou Pinocchio 2.0 – il faut voir ses yeux qui attrapent les vôtres, la vie numérique au cœur du bois. C’est Pinocchio au cirque, mais sans happy end. Gepetto est mort et la fée bleue aussi. On convoque Freaks, la Vénus hottentote, les nains et les avaleurs de sabre de Diane Arbus, Strange fruit et la guitare lynchée de Christian Marclay.
On voit aussi Peter Pan, Spartacus, Tristan, et pas Yseult.
Quand les enceintes jouent When a man loves a woman de Percy Sledge, on n’entend plus les chaînes pour quelques minutes. Il danse Pinocchio, il vole. Et puis la musique s’arrête, et la drôle de danse continue. Mais il ne vole plus, le pantin.
Au bout de vingt minutes, la boucle est bouclée, il n’y a plus rien à attendre et aucune chaîne ne nous retient. Il faut déjà quitter notre nouvel ami, et ça n’a vraiment rien de facile. On reviendra, forcément.

jeudi 20 octobre 2016

Do Do Do Do Fa Fa Do Do Sol Fa Do Sol (Whatever blues)

We've been to Reno 
We've been to the pole 
Whatever and ever
Far closer and ago
We drank one barrel
We sure drank two
Fell off our horses
Too many times to tell
You broke your neck
And something in my chest
Can't find the way back
Who's trying
Can't find the way forth
Who's asking
We're lost in the desert
We're fucked on the moon
The trip is over is it ?
Whatever and ever
We'll rest on Cepheus if we need some rest
We got plenty of time (yes that's a lie)
Your thin hand it don't shake
And your eyes they're no fake
I can smell the gasoline
Stay in these arms of mine
Little sister
You know the two of us 
They will never die 
(Cause they already are)

jeudi 6 octobre 2016

Entre la main qui lâche le téléphone... et le sol.



Comme une merde


Il y a des matins comme ça. On ouvre un œil, un seul, parce que l’autre c’est juste impossible, il est du mauvais côté – du côté de la joue écrasée, avec tout le poids du corps en tour de Pise façon Gehry qui pèse dessus. On se demande comment on a pu atterrir dans cette position sans se réveiller, ni se tuer. Je dis atterrir, mais on s’est plus simplement écrasé comme une merde. On venait de haut, on dirait. On pense au paradis perdu, aux anges déchus, parce qu’on a ces mots sous la main. C’est grossier, mais c’est à peu près l’idée. On sent encore la chute. On sent surtout combien on était mieux là-haut qu'en cette basse et déplaisante posture. Je respire, je me concentre et je tente une remontée. Je tire le fil, il faut plonger, ça peut marcher, ça marche parfois. C’est flou, mais ça monte. J’y suis presque, j’arrive au bord de là-haut. J'y suis. Quelqu'un m'attend. Les souvenirs reviennent en puzzle. Je ne suis pas tombé tout seul. On m’a poussé. Quelqu’un en qui j’avais une confiance aveugle. Je ne vois pas son visage. Ma mère ? Non, pas ma mère. Elle attrape ma main. Elle se détourne et la lâche. Et je rechute. Dans le sens normal. Vers le bas, quoi. Et je m’écrase comme une merde, donc. 
Il va falloir finir la journée comme ça. Il n’y a plus qu’à attendre la pluie, ça nettoiera.


samedi 1 octobre 2016

Western Haïku n°27

Sur le Strip désert
Un ivrogne en short dialogue
Avec Jules César