vendredi 6 octobre 2017

Autour de maintenant

- Bonjour.
- Je vous reconnais.
- Ah, on est devenu comique.
- N’exagérons rien. Comment allez-vous ?
- C’est toujours difficile à dire.
- Bien sûr. Mais vous êtes là.
- Oui.
- Donc vous avez des choses à me dire.
- Bah justement, ce serait pour vous dire pourquoi je viens moins vous voir.
- Parce que vous allez mieux.
- Je ne sais pas, peut-être. Mais c’est surtout parce que j’ai envie d’être le plus possible au présent, et quand on parle c’est rarement le cas. On dit ce qu’on a pensé, ce qu’on a vécu, ce qu’on a compris. Ou ce qu’on aimerait faire, changer, ce qu’on projette, ce qu’on craint… On parle au présent, mais si peu du présent. Quand on parle, on n’est pas là, sauf si on pense en parlant, en direct, ce qui est assez rare et pas toujours passionnant pour l’autre.
- Oui… Peut-être. En revanche on écoute au présent, je crois.
- Oui, mais quand je viens vous voir, c’est vous qui écoutez et moi qui parle, donc vous, vous êtes peut-être au présent, mais pas moi, et c’est ce qui m’ennuie.
- D’accord. Et donc vous parlez moins ?
- J’essaie.
- … Ce que vous dites sur la parole, c’est comme les photos, on croit saisir du présent et on ne produit que du passé.
- Sauf que plus on prend de photos, plus on vit au présent, plus on se concentre sur le présent.
- Pas faux. Donc, plus on vit au présent, plus on produit de passé…
- J’ai l’impression, oui. Mais tant que je n’y vis pas, ça me va.
- …
- Je crois qu'il faut suivre son corps, le corps ne sait pas vivre autrement qu’au présent, la pensée anticipe, le corps réagit, désire, demande, il faut le laisser partir devant, et s’y accrocher. Et se taire.
- On regarde quelque chose avant que votre corps vous emmène ailleurs ?
- Avec joie.