A Vienne, on trouve un horloger dans chaque rue (vous
pouvez vérifier, c'est la stricte vérité), et des horloges à chaque carrefour, sur toutes
les places, et même au fronton de la cathédrale. Cela ne doit absolument rien
au hasard, c'est même tout ce qu'il y a de plus raisonnable. C'est parce qu'à Vienne, le temps ne passe pas à la même vitesse qu’ailleurs. Ca vous saute aux yeux. Vous ne verrez jamais un Viennois courir, par exemple. On ne court
pas quand on a tout son temps, et ici on a tout son temps parce qu’ici le temps passe plus
lentement. Et ça ne date pas d'aujourd'hui. Dans tout le premier arrondissement, on ne trouve aucune trace
(d'architecture ou d'autre chose) postérieure à 1920. Le promeneur parti de chez lui en 2012 doit s’y
résoudre : il arpente là les rues d’une capitale européenne au début du XXe
siècle. Et si le temps passe ici plus lentement que dans le reste du monde,
c’est justement parce qu’on est précisément au centre du monde. Je l’ai senti dans
mon corps. A Vienne, la terre tourne moins vite. C'est net. Tellement moins vite qu’elle
ne tourne presque pas. L’eau qui s’écoule au fond des lavabos s’y introduit
sans décrire aucun mouvement circulaire, et nul gros buveur de liquides
alcoolisés ne trébuche jamais sur les pavés pourtant si traîtres de la Stephansplatz. Je vous parle d’expérience. Et s'il n'est pas question de temps vertical, à Vienne, on n'évolue pas pour autant dans un ordinaire déroulé horizontal. On flotte, on souffle, on parenthèse au coeur d'une douce incurvation bienveillante, et on oublie l'espace de quelques heures de regarder celle qu'il (n')est (pas).
jeudi 15 novembre 2012
lundi 5 novembre 2012
Ces deux-là
Anne aime les Impromptus de Schubert.
Les pantoufles de Georges, ce sont des baskets.
Anne veut voir les albums photos maintenant. Oui,
maintenant, au milieu du repas, au milieu des assiettes. Ca ne peut pas
attendre. S’il te plaît. Elle pousse les miettes, tourne les pages, vite. Et
elle dit : c’est beau la vie, la longue vie.
Georges ne se plaint pas. Georges est vivant, Georges a vécu. Georges ne
parle pas pour ne rien dire. Il dit ce qu’il pense, ce qu’il pense utile, ce
qu’il pense utile à dire. Georges ne dit pas ce qu’il fait. Il peut dire ce
qu’il a fait, et pourquoi, si ça peut aider quelqu’un, de comprendre ce qu’a
fait Georges et pourquoi. Georges est d'accord pour parler sérieusement. Mais si on peut éviter de lui poser des questions
inutiles, si on peut simplement lui faire confiance, c’est aussi bien. C’est
mieux. Georges ne se cache pas derrière les mots. Il les choisit. Alors Georges
parle. Il raconte des histoires, des souvenirs, parfois même il chante.
Anne demande peu. Anne demande le minimum. Le minimum de
mots tristes, ceux qui soulignent ce qu’on sait déjà trop. Anne demande le
minimum de laideur. Et s’il n’y a plus rien à dire, un sourire suffira. Et si
personne ne peut plus sourire, alors on s’arrêtera là.
Georges offre des fleurs à Anne.
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