dimanche 25 juin 2017
samedi 24 juin 2017
Etrangement, les cheminées de la centrale nucléaire ont l'air de fumer normalement.
Impossible
de lire dans ce wagon, on ne peut pas appeler ça une voiture, je vous assure, et
encore moins « un espace ». J’avais pourtant réservé une place
isolée en première dans l’espoir de m’offrir une relative tranquillité, mais
finalement pas donc.
Quand
je suis monté en gare d’Arles, la voiture était presque vide, il n’y
avait que ce type en pantalon de survêtement gris informe, mais ses déplacements
incessants ont tout de suite donné le ton. L’homme est difficile à ignorer :
il respire comme un bœuf, mesure plus de deux mètres et bouge absolument sans
arrêt - il va se lever quatre fois entre Arles et Avignon, opérant je ne sais
quel micmac entre la voiture-bar et les toilettes, et s’aspergeant à chaque
courte pause d’une solution hydro alcoolique qui utilisée dans ces
proportions présente forcément un danger pour la peau sinon pour les poumons. Sa suractivité ne l'a même pas gratifié d'un corps athlétique comme le révèle un trop
court tee-shirt blanc sale qui laisse voir un nombril protubérant, nœud mal fait sur un ballon trop gonflé. Dieu que cet homme est vilain,
vous savez, de ces laideurs antipathiques qui dérangent vraiment, non, je n’exagère pas, ces choses arrivent et personne n’y est pour
rien, sauf ses parents peut-être, mais eux-mêmes en héritiers de gènes qui nous
feraient remonter trop loin, et s’il n’y a aucun réel coupable à trouver, pour
l’heure il y a une victime, et c’est moi.
Mais
ces problèmes visuels et olfactifs ne sont rien à côté du déferlement sonore
qui envahit la voiture sitôt passée la gare d’Orange. Une sexagénaire (le mot n’est
pas très heureux, mais je vous assure qu’il convient à la dame) très agacée par
sa compagne un peu plus âgée qu’elle et peu rompue au maniement de facebook sur
mobile, l’engueule dix minutes durant sans reprendre sa respiration. J’ai beau
appeler à l'aide mon casque Bose et les Stooges, rien à faire, l’exaspération
de la dame se révèle impossible à masquer sans risquer de devenir complètement sourd. C’est
étonnant comme la colère de certaines personnes transpire littéralement de tout
leur être, pendant que d’autres, comme moi, la récupèrent comme des éponges. La
bile des uns dans le corps des autres. Si l’image vous déplaît, dites-vous que
c’est autrement pire à vivre.
Dans un réflexe de survie, mes yeux fuient sa
bouche pour atterrir sur ses pieds où des lettres manuscrites multicolores imprimées sur le coup de pied de ses Timberland proclament : « I love
you to everyone ». Alors que je me concentre sur la mystérieuse syntaxe de cet improbable message, un nouveau trio nous rejoint en gare de Montélimar : papy mamie raccompagnent leur petit-fils à la capitale. Si la
grand-mère est ordinairement discrète, le grand-père me fait l’effet d’une
grenade dégoupillée dont l’explosion se trouverait régulièrement reportée
de quelques secondes. Combien de déplacements de valises est-il capable d’opérer ?
Combien de « mais c’est pas vrai merde quel bordel de merde » peut-il
enchaîner ? « Mais tu comprends vraiment rien de rien, on est assis là et
pas là. Mais oui ! Mais non enfin ! C’est bien la 34 ? La
34 ! La 34 ou pas ? Hein ? La 34 ? Bah oui, c’est ce que je
disais, la 34 ! Oui, la 34 elle est là ! Bah oui enfin ! Tu
comprends vraiment rien… ». Heureusement, la mamie a préparé des sandwiches qui
clouent pour un temps le bec de son emmerdeur. Pendant la pause offerte par le
pain de mie-thon-mayonnaise, un couple de furieux traverse l’allée en courant.
Le monsieur est affublé de l’exacte coupe de cheveux du seigneur Du Guesclin,
frange taillée à la serpe en parfaite réplique d’une rangée de dents
supérieures qui recouvrent spectaculairement sa lèvre inférieure. Derrière lui, agrippée
à sa blouse, une femme au strabisme exceptionnel et au sourire de démente
pousse des petits cris aigus. Il faut s’y résoudre, ce train est maudit. Je
renonce définitivement à lire. Parfois la défaite est inévitable, et il vaut
mieux employer ses dernières forces à l’accepter.
Mais
qu’est-ce qu’il mange, le grand-père ! Il enfourne sa deuxième banane
d’affilée. Deux bananes après le gros sandwich au thon ! Il engloutit
littéralement son angoisse, c’est fou. Son petit-fils lui offre un dessin nul gribouillé
de couleurs nulles. Incapable d’en dire du bien, le vieux connard lui rend
aussitôt son dessin de merde en soupirant. Cet homme est donc capable d’un
comportement sensé, preuve qu’il ne faut jamais tout à fait désespérer.
Du
Guesclin et la sorcière repassent dans l’autre sens, doublés par deux nouveaux
monstres, plus petits mais aussi repoussants. Ca alors ! Ce sont les
enfants du géant au pantalon de survêtement : une fille de douze
ans terriblement ingrate et un petit cochon un peu plus jeune. Probablement assis avec leur mère dans une autre
voiture, ils sont venus rendre visite à leur géniteur. Le fils crie « Papa,
j’ai fait caca, tu me donnes du gel ? ». Ca ne s’invente pas une
horreur pareille. C'est bien le fils de son père, et s’il porte un jean
dégueulasse à la place du pantalon de survet, il partage avec lui un
goût immodéré pour la solution hydro alcoolique. Je me fais le serment de ne plus
jamais acheter de cette saloperie.
Nous
venons de dépasser les centrales nucléaires, elles ont l’air de fumer
normalement, je suis surpris, c’était un bon jour pour en finir avec l’humanité.
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