Pierre vient d'accrocher la toile au-dessus du divan, pas que ce soit spécialement pratique, mais c'est le seul pan de mur libre.
Il l'a punaisée
avec précaution sous le regard de Black qui, maintenant que l'automne
est là, préfère le point d'observation du divan à la fraîcheur du tapis.
C'est une vue du
Cannet, au premier plan jaune tournesol, très lumineux, et à l'horizon vespéral,
mauve, avec un ciel filant au rouge ; comme deux heures éloignées de la journée
réunies dans un même espace, ou comme un ciel normand qui se serait invité sur la
côte d'azur.
Il a posé son
pinceau, il ne sait pas bien regarder, le pinceau à la main, l'action prend le
pas, la main devance l'oeil. Il a besoin de cette pause, du regard de Pierre sur
le travail de Bonnard.
Pierre décèle une
faiblesse au niveau des premières collines, derrière la ligne d'arbres qui
borde le village, un manque de densité, une facilité. Dans le bleu. Sur la
table, dans la boîte ouverte, les couleurs n'ont plus longtemps à attendre.
Il le savait, il
n'est pas allé se laver les mains avant d'accrocher la toile. Une retouche, une
seule, il se le promet, ces reprises sont dangereuses, il faut savoir s'arrêter
juste avant d'avoir terminé.
Black a entendu
quelqu'un derrière la porte, mais Marthe n'entrera pas, elle sait qu'Edouard
est là pour la journée, et qu'il n'est pas venu prendre le thé.