Chaque premier tour de roue dans la rue Emile Richard me fait le même
effet : je découvre des mollets neufs, j'offre mes dents aux escadrilles de moucherons, je suis en joie d’être là, de respirer, d’être moi. Le même miracle, à chaque fois.
La rue Emile Richard
est une rue rectiligne à sens unique ombragée de platanes centenaires sur toute la longueur de ses quatre cents mètres. Elle est ouverte à la circulation, mais les moteurs lui font offense, c’est en silence qu’il faut l’emprunter,
la survoler dans un souffle, effleurer son bitume, cycliste ou oiseau, toujours vers le sud.
La rue Emile Richard n’affiche aucun numéro, nul ne peut y
demeurer sans avoir quitté ce monde ; ce n’est pas une adresse, c’est un canyon
effilé dans la Vallée de la mort, la Mer Rouge divisée, un passage secret
dans l’Odyssée.
La rue Emile Richard ne relie pas le boulevard Edgar-Quinet à la rue Froidevaux, elle rappelle simplement aux petits hommes qui pédalent qu'ils sont vivants.