- Vous
sentez cette histoire de rythme, vous aussi ?
- Je
ne sais pas, vous pensez à quoi ?
- Au
rythme. Temps fort, temps faible. La musique. Tension, résolution,
et cetera.
- Euh
oui... Enfin, je sais pas. Vous voulez dire dans la vie ?
- Oui,
dans la vie. C'est mieux... Pas seulement dans la lecture ou
dans la musique, mais dans la vie, entre les gens...
- Oui.
Oui, je vois.
- Et
donc, vous sentez ça, vous aussi ?
- Oui...
Evidemment.
- Evidemment,
évidemment... C'est pas si évident. On peut expliquer les choses
autrement. De façon plus linéaire, de cause à effet, de gauche à
droite... Alors que cette histoire de rythme, elle sous entend des
cycles. Des retours, des répétitions...
- Des
reprises...
- Ah,
voilà, vous suivez !
- Oh,
ça va...
- Oui,
des reprises, donc des cycles, dont on est plus ou moins acteurs,
dans la vie. Parce que dans la littérature, ou dans la musique, ou au
cinéma, l'auteur décide du rythme, en principe... Mais dans la vie,
on subit plus les cycles qu'on les écrit... Enfin, il me semble.
- Et
donc...
- Bah,
donc, il faut être humble et patient. Parce que, pour qu'il y ait des
reprises, il faut qu'il y ait des pauses, ou des temps faibles au
moins... Enfin, ce n'est pas parce qu'il y a pause qu'il y a reprise.
Parfois, il n'est plus question de rythme...
- Quand
l'histoire est finie...
- Par exemple, oui,
parfois. Mais on ne sait pas toujours de quoi on parle. Dans la
musique indienne, les cycles peuvent durer des centaines de mesures,
je crois, alors savoir quand le premier temps de la
première mesure va revenir... C'est là que cette idée de patience devient
intéressante... Il faut y ajouter un genre de foi, même si le mot est
un peu gros, peut-être... A partir de quand attend-on autre chose ?
Quand on se refuse à attendre encore et toujours. Et je repense à cette
histoire plus triviale d'attente de bus : à partir de combien
de temps décide-t-on d'y aller finalement à pied ? Parce que,
même si on a attendu le bus trop longtemps, on a tendance à
l'attendre encore un peu, puisque, justement, on l'a attendu déjà trop
longtemps. Alors très vite, il est trop tard pour ne pas l'attendre un peu
plus. Pourtant, si l'attente s'éternise, on finit par y aller à
pied. Enfin, je dis "y aller", on peut aussi décider
de rentrer chez soi, ou de faire autre chose, finalement...
- C'est
là que vous vouliez en venir ?
- Où
ça ? Non. Non, je pensais plutôt que parfois, il vaut mieux
aller au cinéma, je veux dire s'occuper. En attendant. Que ça
revienne. Je ne sais même pas de quoi je parle... D'ailleurs, on peut peut-être oublier qu'on attendait tout court si l'occupation est suffisamment bonne...
- En
attendant que l'occupation elle-même fasse sentir ses cycles...
- Oui...