Longtemps, la vie avait formé un bloc incontestable. La suite des jours constituait un ensemble cohérent, chargé de sens - même si jamais précisément formulé.
Le sentiment de
suivre un plan. Des choses à faire. Un horizon. Ou deux.
Trouver l'autre,
puis la tanière à partager, y élever des enfants. Trouver un métier, s'y sentir
plus ou moins légitime, y grandir. Le plan pouvait connaître des accrocs, on
pouvait douter parfois, se perdre même par moment, mais l'ensemble formait un
genre de bloc incontestable, oui, dans lequel on occupait sa place, sinon un rôle.
Et puis, on a
perdu le fil. Ou bien on est arrivé au bout. Le plan avait peut-être été
exécuté, la mission remplie, bon an mal an, ce n'est pas impossible.
Alors, les jours ont
commencé à dessiner une suite de points qui ne représentait aucune forme, quand
on faisait l'effort de les relier. Certains points étaient plus jolis que
d'autres, il y en avait même de sublimes, mais tous flottaient là, à égale
distance, à plat, sans perspective. L'horizon avait disparu.
On ne s'en est
pas rendu compte tout de suite. Force de l'habitude, ou de l'inertie des corps.
Ou bien on était distrait.
Quoi qu'il en
soit, désormais, la vie avait changé, et on était au monde, comme jamais.