Peu avant le décollage du
bimoteur à hélices Marseille - Calvi, un homme assis une rangée devant moi élève
la voix. Manifestement installé à la place d'un autre passager, il justifie son
geste par une maladie qui l'obligerait à se tenir près du hublot : "… si
vous voulez que je vous dérange sans cesse, obligez-moi à m'asseoir côté
couloir". Ça ne fait aucun sens, mais il se défend avec une telle
agressivité que son interlocuteur lui abandonne sa place sans discussion. De l'autre
côté de l'allée, placide comme un pape, leur voisine de rang les gratifie tous les
deux d’un large sourire énigmatique – telle une mère qui observerait avec
tendresse les chamailleries de ses enfants. L'incident passé, elle reprend la lecture de son magazine. L’article qui a ses faveurs
traite du bouturage des anémones du Japon. Bien que passablement exotique, ce sujet
m’apparaît instantanément très apaisant. À quoi ressemble l'anémone du
Japon ? Qu'est-ce qui la distingue de l'anémone ordinaire ? En quoi consiste
exactement son bouturage ? Ces questions nouvelles constituent un parfait
antidote à mon inquiétude croissante liée au décollage imminent, à la maladie
de cet homme, et la précarité de la vie en général. Je ne quitte plus
cette femme des yeux jusqu'à notre arrivée tant son choix de lecture la pare de toute la sagesse de l'orient.