jeudi 24 août 2017

Arizona

Une terre rouge parsemée de pierres dont les éclats du même argent que le ressort qui vibre à l'horizon vous percent l'œil.
Sur le dos d'un cheval - au pas, et c'est déjà un exploit - un sac d'os va et vient perpendiculairement au déplacement de sa monture, balancier silencieux du métronome d'un pianiste absent.
Pour simplifier, appelons ça un homme - aux connaissances limitées, mais qui n'a pas encore perdu la raison, qui fait confiance à ses sens pour savoir que le soleil n'est pas à des millions de kilomètres, mais à un souffle de lui, celui du diable, sinon comment expliquer cette morsure permanente sur la peau, cette pression implacable, et ces tempes hystériques qui ont juré de défoncer son crâne. Un homme dont toute la fortune repose au fond d'une gourde en peau de chèvre, et qui lorgne le canyon qui vient de tomber du ciel (oui, ces choses-là arrivent) comme un pourvoyeur d'ombre inespéré. 
C'est un coupe-gorge, certes, mais il l'a trop sèche pour faire le difficile alors il s'engouffre dans le goulet, les yeux d'abord fermés, redoutant le mirage - s'il se souvenait du geste, il se signerait. Quand il desserre ses paupières, il ne voit rien de plus ; après tant de lumière ses pupilles ne savent plus s'ouvrir, il lui faudra se fier à autre chose pour croire à quelque chose. Ses épaules frôlent les parois, et leur contact lui est si doux que le petit homme pense à sa mère. Il n'est pas différent des autres, il cherche juste à rentrer chez lui, recoller les morceaux, se blottir dans les bras qui lui manquent, se réunir. Il ne s'explique pas sa chance, mais ce canyon a été dessiné pour lui, exactement à sa taille, pour son bon plaisir, la dernière pièce du puzzle jusqu'ici manquante. Il n'ira pas plus loin, son cheval s'écroule sous lui, au cœur de son Arcadie.