mardi 31 mars 2020

lundi 30 mars 2020

C'est donc possible

C'est donc possible. 
Le monde peut s'arrêter. Les voitures prendre la poussière. Les avions ne plus zébrer le ciel. Les fabricants ne plus fabriquer. 
Ne plus vendre. Ne plus acheter. Sauf pour se nourrir. S'arrêter. Ne plus courir. Ou seulement de visioconférence en visioconférence. Mais ça va se tarir, ça aussi. Quelle révolution.
C'est donc possible. Descendre en marche.
C'est une pause, pas un arrêt. Mais tout de même, quelle pause. Quelle puissance. Qui l'aurait prédit.
Que penserons-nous dans quatre semaines ? Et après ?
Serons-nous rassurés de reprendre notre place dans notre roue, ou bien cette échappée nous donnera-t-elle envie d'autre chose ?
Et ces changements qu'on peut rêver pour le monde, saurons-nous en faire à notre échelle ? Plus modestes, ou pas. Déterminants, pour chacun, et donc pour d'autres.
Nous libérer. Dire. Agir. Changer. Simplement. Etre un peu plus cohérent.
Faire maintenant ce qu'on remettait à plus tard, donc à jamais.
Se permettre. Oser.
C'est donc possible.

Ta main - 66

Jour 14 - La promesse de l'aube

samedi 28 mars 2020

I want to know

- Bonjour.
- Bonjour, vous.
- ...
- Ca vous fait sourire ?
- Non, ça ne me fait pas sourire.
- Mais vous êtes de bonne humeur...
- Oui, on peut dire ça, même si ce n'est pas aussi simple.
- Evidemment.
- C'est plus ambivalent. Il est beau, ce mot, ambidextre, ambigu... et la valeur, la force... Mais je dis peut-être n'importe quoi, on prend parfois de mauvais chemins en remontant vers le Latium.
- Vous êtes en forme, c'est net.
- Vous simplifiez, et vous savez que je n'aime pas ça.
- Allez-y, sans détour.
- En revenant du petit Auchan, je suis passé sous les fenêtres ouvertes d'un immeuble assez triste, où une famille chantait - dans un très mauvais anglais, mais avec un enthousiasme assez bouleversant - un titre de Drake, Mos Def, ou je ne sais pas qui. J'ai posé mes courses, je les ai écoutés, j'ai passé un très bon moment.
- Vous avez applaudi ?
- Non, je garde mes applaudissements pour le personnel hospitalier, les éboueurs, les caissières, tous les gens qui continuent à travailler dehors, exposés. Dans un sentiment ambivalent, mélange de reconnaissance et de gêne à en faire un petit spectacle ; de sincérité et de panurgisme.
- Vous êtes, ambivalent, quoi.
- Et, vous, vous tentez de faire preuve d'humour.
- Je vous montre que je suis ce que vous dites.
- Vous êtes ce que je dis, vous ne suivez pas.
- Poursuivez.
- Avant la famille de chanteurs, je suis passé devant le foyer de travailleurs migrants de la rue de la Duée. Ils sortent à tour de rôle, pour respecter les consignes. Leurs chambres sont si petites, pourtant. 
- ...
- C'est émouvant, oui. Comme tous ces moments que je passe avec ma fille. Nous ne choisissons pas de déjeuner et de dîner tous les soirs ensemble, mais nous nous en réjouissons, nous parlons, nous rions, nous chantons, parfois même nous dansons.
Confinement n'est pas le bon mot. Rapprochement me semble plus juste. 
Eloignement, aussi. De la femme que j'aime. 
- ...
- Cette période fait ressentir encore plus fort. 
- Elle dérange.
- Oui, exactement. Elle violente et rafraîchit.
- Ca vous convient, ce dérangement ?
- Je n'étais pas spécialement installé, non plus. Mais si ça peut aider à voir plus loin, je ne suis pas contre. Je veux bien en savoir un peu plus.
- On parle, on parle, on ne regarderait pas quelque chose, plutôt ?
- D'accord, je me souviens d'une chanson, j'avais dix ans, je crois.

Ta main - 64

Jour 12



jeudi 26 mars 2020

animal extase

On pensait avoir jeté tous les mots qui prenaient la poussière, le gras de cuisson, la crasse des doigts, et les regards inattentifs, depuis tant d'années. On avait emballé le vieux frigo, on l'avait abandonné plusieurs mois dans un garde-meubles de la grande couronne. On l'avait récupéré, nettoyé, lui avait trouvé une nouvelle place dans ce nouvel appartement, et quinze jours plus tard, on découvrait deux petits mots oubliés, dans l'angle de la porte. Ils étaient bien ces deux petits mots, on n'aurait pas trouvé mieux en cherchant des heures dans le Larousse. Animal. Extase. Poésie. Pure.

Ta main - 63

Ma main

Jour 10 - Un tout petit croissant

mercredi 25 mars 2020

Immortels

Le Panthéon est bleu et doux. Caressé par les lueurs du lever de soleil, comme, à la nuit tombée, par les lumières de la place qui porte son nom. De faux airs du Capitole de Washington, une force tranquille, élégante, celle de l'hôtel de la place des grands hommes, avant que Bruel ne le salope.
Le dôme des Invalides est chaud et transparent, lui, son doré à la feuille d'or brille de mille feux toute la sainte journée, avant que sa batterie de spots ne lui laisse penser qu'il peut rivaliser avec la majestueuse Eiffel voisine. Quel faute de goût. Prétention de nain.
Elle, elle scintille, elle en fait trop, mais ça passe. Et quand ça me lasse, je reviens au Panthéon.
Quelle douceur, quel moelleux. Une sensualité folle.
Eternelle.


Jour 9 - Matin et soir

lundi 23 mars 2020

Entre 22H25 et 22H40

Une semaine. Que nous sommes dans cette si curieuse situation. De guerre, comme a dit le Président, qui fait ce qu'il peut, et qu'on a connu plus arrogant. Comme notre Premier Ministre, qu'on a connu plus en forme, au regard moins inquiet, et a la barbe moins blanche. C'est dire. Car ces hommes ne sont pas des mauviettes. Ils réagissent, comme ils peuvent, avec intelligence, et avec coeur, autant qu'ils peuvent, il n'y a pas à en douter. Avec leur limites, aussi. Humains, forcément humains. Pas si différents des autres.
Une semaine que je n'ai pas dix minutes à moi avant 22h et quelques. Edouard et Emmanuel ricanent, ils peuvent, mais ça me pèse, et j'ai le droit de le dire, je ne réquisitionne pas le journal de 20h de TF1, non plus - TF1 qui réclame une connexion avec mot de passe, sur ordinateur, pour pouvoir écouter notre Premier Ministre, quelle pitié, quel n'importe quoi.
Une semaine qu'on nous bassine avec l'ennui qui devrait nous assaillir, qu'on nous abreuve en recettes de cuisine, en activités à faire en famille. 
Qu'on me laisse parler à ma fille, lire une page du livre qui prend la poussière à la tête de mon lit, et ça ira. L'ennui n'est pas le sujet. 
Ca va certainement finir par se calmer. Là, les entreprises (du moins, certaines) ont besoin de conseil en communication, ou d'exécutants en communication. Tout de suite. Aujourd'hui. Parce que demain, tout aura changé. On parle bien de dimanche et de lundi, oui. Ce n'est pas faux, personne ne sait tout à fait de quoi demain sera fait. On pourrait se taire, aussi, mais ça fait encore plus peur. Est-ce que je me tais, moi ? Non, mais je n'achète pas non plus d'espace publicitaire avant le 20h de TF1, ni après.
J'aime ce rendez-vous de 20h, à la fenêtre, avec les mêmes voisins, de plus en plus chaleureux et bruyants, et sympathiques, et graves, et proches. Pas plus nombreux. C'est étonnant comme tout le monde ne réagit pas de la même façon, c'est certainement mieux comme ça. Pourtant, on ne peut s'empêcher de penser à d'autres guerres, à d'autres temps, passés ou à venir. Comment se comporteraient ceux qui ne saluent plus, qui vident les rayons des supermarchés, ou qui gardent leur fenêtre close à 20h, si les temps étaient pires ? On ne sait pas, ne généralisons pas. Oui, d'accord. Ok. Mais... Je me tais, je me tais. J'aimerais penser à ce moment. Réfléchir à ces émotions si diverses qui se succèdent du matin au soir, ces réelles compassions et ces éblouissements devant ces inattendus couchers de soleil flamboyants de mars. Paris est moins polluée, ou c'est un hasard ? 
C'est fou le temps que ça prend de faire le ménage et deux repas par jour. C'est vrai que c'est un métier à plein temps, femme au foyer. Vous avez remarqué, on ne parle plus de Polanski, cette épidémie arrange un paquet de monde, quand même, et loin de moi l'idée d'y voir le moindre complot, le malheur des uns a toujours fait le bonheur des autres, ne cherchons pas la justice, la nature est aveugle et cruelle comme le covid-19, voilà tout, on peut relire Nietzche ou qui on voudra, dès que les entreprises qui ont besoin de communiquer nous en laisseront le temps, c'est comme ça et c'est tout. On voit quelques mêmes assez réussis sur les réseaux sociaux, comme ce Vierzon avant/après, où les rues sont uniformément désertes. On sourit. Pendant que des gens meurent. Oh, des gens meurent tous les jours, avec ou sans corona virus. Un tout petit peu moins sans, certainement. Mais on y pense davantage, et c'est peut-être une bonne chose. C'est toujours une bonne chose de penser. Autrement. J'aurais besoin de faire une pause, je parlerais moins pour ne rien dire. J'écris sans réfléchir, c'est une fuite, un moyen paradoxal de reprendre mon souffle, de me retrouver en vous jetant ces mots. Un moyen de vous toucher, de vous dire que vous me manquez. C'est vrai. C'est sûr, ça. Vous me manquez.

Jour 7


samedi 21 mars 2020

The red shoes

Arte diffuse Les chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger. Où l'art donne tout, mais réclame davantage. Beauté et cruauté. Tragédie achevée. Chef-d'oeuvre. Je n'aime pas ce mot, mais il semble être le bon.
Ce soir, au journal télévisé de France 2, un de nos compatriotes médecin à Wuhan, a déclaré que nous devrions inviter la population française à faire des réserves et interdire tout déplacement. 
Alors que nous pourrions l'inviter, voire l'obliger, l'armée aidant au besoin, à voir et revoir Les chaussons rouges, qui est en streaming gratuit jusqu'au 31 mai. 
Et s'il ne reste que des pâtes, le sang de Victoria Page nous fera oublier sans mal le manque de sauce tomate.

Jour 5

jeudi 19 mars 2020

En attendant la réunification des deux Corées

Qui a pensé aux couples illégitimes ? 
Qui a pensé à la passion, aux rendez-vous volés, aux mensonges inventifs, aux corps qui exultent en secret ?
On n'a pas oublié les petits entrepreneurs, mais le grand amour peut aller se rhabiller.
On a prévu des attestations pour sortir faire chier son chien, pour suer dans son jogging, pour remplir son caddie de PQ, ou pour vider les pharmacies de doliprane, mais aucun alinéa pour aller faire l'amour avec une personne consentante.
Il faut se confiner par foyer. Rester entre soi.
Télé-travail, famille, patrie.
Mais, patience, l'amour tient sa revanche.
Quand le confinement aura fini de consumer les unions sacrées, quand chaque homme ou chaque femme rêvera de la femme d'à côté, de l'homme de la rue, du facteur qui n'aura pas besoin de sonner trois fois quand il reviendra. 
On verra alors si l'amour ne suffit pas.

Jour 3 - Les pigeons se confinent à l'intérieur du Monoprix