samedi 2 juin 2012

La Vie en Couleur


Parfois les couleurs sont trop colorées, les briques sont trop briques, l'herbe est trop verte, le bleu du ciel trop bleu ciel, et même le jaune pâle trop jaune pâle... (comme dans "La France de Depardon" où l’on “découvre” le rouge et le bleu des panneaux de signalisation que l’on croise tous les jours) et on oublie de noter les portes de prison, grises comme des églises, qui bouclent cette étrange fausse villa patricienne de bord de mer. 
Mais les couleurs ne nous semblent jamais trop colorées dans la réalité (même quand elles crient en plein soleil), c’est sur les photos qu’on doute d’elles, qu’on se méfie. Et encore, cette méfiance est relativement récente : la colorisation des années cinquante, les pellicules kodacolor ou eastmancolor ne choquaient personne, au contraire, elles faisaient jaillir la vie sur les écrans.
Probablement en réaction à la crudité du numérique (l'effet vidéo, les impitoyables millions de pixels, …), on a vu se développer ces dernières années un étalonnage désaturé et contrasté, synonyme de bon goût... (parfois jusqu'à la manière, comme chez le pourtant excellent Nuri Bilge Ceylan). Depuis trente ans, la modernité est essentiellement grise, plus ou moins noire et blanche, voire transparente ; aluminium, graphite ou verre… (l’arc-en-ciel d’iPods faisant figure de contre-exemple).
Je suis un amateur de photo couleur. J’aime la petite fille et la voiture verte d’Helen Levitt, William Eggleston, Stephen Shore et les rouges de Guy Bourdin…
Je vis le chic désaturé comme un manque de courage, une élégance facile. J’aime les couleurs même si (parce que ?) elles me font peur.

A propos de “La France de Raymond Depardon”, on peut lire :
«Les couleurs n’ont absolument pas été boostées, proteste Jacques Hénaff, responsable de la numérisation et du tirage. Raymond Depardon les voulait le plus naturel possible. Si les couleurs étonnent, c’est parce qu’aujourd’hui les techniques numériques permettent de rectifier les défauts des pellicules argentiques, qui ont toutes des biais, des dominantes, et qui font que la photo couleur est souvent assez loin de la réalité. Le numérique permet en particulier d’exploiter toute la richesse des images très lumineuses issues des chambres 20 x 25.» De son côté, Depardon admet que certaines couleurs puissent étonner. Il livre plusieurs explications : «D’abord, les gens des villes sont souvent étonnés par les lumières et les couleurs de la province, ils en ont perdu l’habitude.» Ensuite, il dévoile un paradoxe. Comme beaucoup de photographes qui ont surtout travaillé en noir et blanc, il dit aimer les lumières froides «car on y retrouve les mêmes palettes qu’en noir et blanc». Il a donc évité de travailler sous le soleil, préférant les temps gris mais lumineux. «Or, cette recherche de la neutralité m’a permis de mieux voir, par exemple, le rouge des panneaux de sens interdits et des devantures de boucheries, bref elle m’a orienté vers les couleurs vives.» Le paradoxe est donc que Raymond Depardon était parti pour photographier la France en lumière froide, délaissant les mois d’été «où la lumière en France est trop jaune», et qu’il est revenu avec des images aux couleurs acidulées. «Acidulées comme les bonbons et les tables en Formica de mon enfance. Ce sont les teintes des années 50, qui furent celles de mon adolescence, et qui ont dû venir titiller mon inconscient lors des prises de vues.»
Dernière explication : les pellicules Kodak utilisées sont étalonnées à Rochester (New York), où la lumière du jour a une «température» de 5 700 kelvins. La même, grosso modo, que celle du sud de la France, entre Lyon et Marseille suivant les saisons. Les couleurs du nord du pays ont donc été «réchauffées» pour tenir compte de ce biais. Enfin cette anecdote : la directrice photo, Caroline Champetier, ayant trouvé surnaturel le rouge de tomates photographiées sur un étal (la photo prise dans l’Aude est présente à l’expo), une vraie tomate fut posée contre l’image. Elle était encore plus rouge que la reproduction, affirme Depardon.