vendredi 15 novembre 2013

Un morse sur la branche

J'ai toujours eu du mal avec les standards de jazz chantés, une curieuse difficulté à apprécier même leurs plus émouvantes interprétations.
Mais en écoutant pour la centième fois My funny Valentine (j'ai moins de mal avec celle-là, oui), je crois comprendre enfin pourquoi. Les mots me détournent de la voix. Épouvantails au milieu du chant, ils parasitent le sentiment.
J'entends la voix du trompettiste, mais seulement les mots du chanteur. 
Les mots sont un médium trop signifiant, ils ferment le sens, allument la lumière quand on se délectait de deviner le murmure dans le noir.
Ce que je cherche, ce qui me manque, c'est la voix de l'autre. Les mots, de toute manière, ils sont tous là, dans le dictionnaire.
Et puis, l'impudeur d'exprimer un sentiment exige un minimum d'inintelligibilité.
Vivent les croisements infinis des phrases à double-sens et les sens cachés des mots-valises à double-fond. Et les questions (comme celles de My Funny Valentine...).
Fuyons les déclarations, laissons les interprétations s'évanouir en tire-bouchon, gravons nos coeurs dans les codex, en latin dans le texte, et si, incapables de silence, nous prend l'envie de chanter, préférons le morse au rossignol.