mardi 8 janvier 2019

Arcanes


- Bonjour.
- Ah. Bonjour.
- On n'a pas quelque chose de clair à dire tous les jours. Pourtant je suis là.
- D'utile à dire ?
- De clair, d'utile.
- Mais pourtant, on a envie de dire... 
- Ce qu'on ne sait pas.
- C'est ça.
- Comme si quelque chose devait l'être. Dite. Ou pensée, déjà. Parce qu'en l'état, avant d'être dite, cette chose empêche de penser, justement. Un bruit de fond, dans le brouillard.
- Qui pourrait laisser croire qu'on ne pense pas, alors qu'en fait c'est une pensée qui reste dans les limbes, qui peine à se frayer un chemin jusqu'à la conscience. Qui bloque le passage.
- Elle procrastine.
- Si on veut, oui.
- Alors je viens vous voir. Pour entendre ce que j'ai à dire.
- C'est ça.
- C'est pas neuf comme idée.
- Non, mais ça marche. Plus ou moins.
- Plus ou moins. J'ai l'impression que cette pensée est un savoir.
- Un savoir ?
- Oui, je sais quelque chose, mais je ne sais pas quoi. Un truc caché, mais mal.
- C'est bien ça, une pensée dans les limbes...
- Ca a à voir avec la fin des choses. 
- La durée ?
- Rien ne dure, d'accord, mais certaines choses se terminent, et c'est encore autre chose.
- Quelle différence vous faites entre ce qui ne dure pas et ce qui se termine ?
- Rien ne dure toujours, mais en attendant, ça dure. La durée est relative, quand la fin est binaire. Dès la première page du livre, je sais que je ne vais pas le lire toute ma vie, mais tant que la dernière page n'est pas lue, je lis ce livre. A la dernière ligne, là seulement, le livre est terminé. Pas avant. Je peux faire durer la lecture, l'interrompre. Faire des pauses...
- Même si ne pas lire n'est pas tout à fait faire durer.
- C'est rester sur pause, ce n'est pas étirer, c'est vrai.
- Ne pas vivre n'empêche pas le temps de passer.
- Oui. L'image du lecteur qui choisit d'ouvrir ou de refermer son livre n'est pas juste, d'ailleurs. La plupart des choses ne nous attendent évidemment pas pour avancer. On est si peu aux commandes. Nous sommes nous-mêmes dans les livres des autres, et ils en tournent les pages à leur rythme. Et encore...
- Sans parler de Celui qui tourne les pages du grand livre...
- Je réalise que je fais partie des derniers dinosaures qui prennent du plaisir à toucher le papier des grands quotidiens, à en replier les pages avec un soin désuet.
- ...
- Quoi ?
- Non, rien. Je n'ai jamais su replier les pages des quotidiens.
- Parce que vous êtes cool, vous vous en foutez de bien replier les pages. Moi, je suis maniaque. Vieux et maniaque.
- C'est relatif, ça. Je ne suis pas spécialement cool.
- C'est vrai.
- On regarde quelque chose ?
- On écoute une voix, si vous voulez.