samedi 5 janvier 2019

Dans l'abrutissement qui me tient lieu de grâce


- Bonjour.
- Bonjour.
- C'est curieux parfois comme on pense avoir des choses à dire à un instant donné, et comme tout a disparu le temps qu'on ouvre la bouche.
- C'est ce qui vous arrive, là.
- Oui. Comme quand on ne parvient pas, au réveil, à tirer le fil du rêve que l'on vient de quitter. Il est tout proche, mais rien à faire, il reste hors de portée.
- Oui.
- Oui quoi ?
- Oui, je vois.
- Ah. Super.
- Je sais, ça n'est pas d'un grand secours.
- Je me demande si c'était plus simple quand on croyait.
- Pardon ?
- Quand la religion était forte, quand tout le monde était relié par plus ou moins la même croyance.
- Je ne suis pas un spécialiste.
- Je sais. Je pense tout haut, c'est tout.
- Je vous en prie.
- Chercher tout seul n'est peut-être pas une solution si formidable. Un autre péché d'individualisme. C'est présomptueux, non.
- Faire semblant de croire à une histoire n'est pas une tellement meilleure solution.
- C'est vrai.
- On ne cherche pas tout seul, on discute, on lit des hommes qui ont cherché avant nous, on cherche avec eux.
- ...
- Non ?
- Si, si. Mais par moments, Cioran ça manque de rose.
- De rose ?
- De rêve, d'anges, d'un salon où l'on déguste des loukoums à la rose, vautré dans des nuages épais.
- Evidemment.
- Dagerman a raison, notre besoin de consolation est difficile à rassasier.
- Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier.
- ... Mais une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds.
Vous le connaissez par coeur ?
- Le début, seulement, je sais que vous en avez besoin de temps en temps.
- Oh, c'est tellement gentil.
- On regarde quelque chose ?
- Vous le méritez. Ma favorite est Plein été, qui commence à 51 minutes 30, le son est d'une qualité merdique, mais tout est parfait.

Wah² Michel Houellebecq & Bertrand Burgalat from vhsclasx on Vimeo.