dimanche 14 avril 2019

Paul Signac - Sur la route de Gennevilliers, 1883


Paul Signac a le soleil dans le dos. Il s’est installé à l’angle du carrefour, face à la ligne d’usines et de bâtiments au loin. Un horizon de petits cubes colorés d’où s’élève une fumée noire crachée par trois cheminées dans le bleu d’un ciel immaculé. Au premier plan, quelques arbres décharnés dont les ombres bleues sont les seules à emprunter la route blanche comme un désert de sel. Nous sommes au milieu de nulle part. Entre la ville et la ville, entre Paris et la banlieue. Mais c’est aussi bien la dernière prairie avant Chicago ou Los Angeles, un bord de route où s’élèvera bientôt un « diner » peint par Hopper, où Lauren Bacall attendra Humphrey Bogart ; une baraque où Michèle Morgan retrouvera Jean Gabin. S'il en est encore temps. La route a recouvert la piste, on espère l'arrivée de deux cyclistes, mais on entend déjà les bétonneuses. Ce tableau a des faux-airs de fin du far-west filmé par John Huston, et ce sont certainement les pur-sang des Misfits qui cuisent dans fourneaux de Gennevilliers. En essayant de trouver des informations sur La route de Gennevilliers, je découvre qu’une entreprise en commercialise une reproduction sur un paillasson, et qu’elle qualifie son produit d’idée-cadeau originale. C’est à pleurer. Et s'ils ont pensé à la déclinaison tapis de souris, ils ont négligé la version mouchoir. Certains soirs, on se prend à douter du progrès.