mardi 18 septembre 2018

Chez ma grand-mère, au 45 rue Jean-Noël Pelnard

Chez ma grand-mère, au 45 rue Jean-Noël Pelnard, à Fontenay-Aux-Roses, cette exacte tapisserie de papa cerf, maman biche et bébé faon, était accrochée au-dessus du buffet de la salle à manger. Elle me terrorisait, cette tapisserie, je pèse mes mots. Les feuillages touffus cachaient tous les loups du monde, serpents, tigres, sorcières, monstres, ogres. Terreur d'enfant, et tristesse insondable, aussi. Nature vivante morte, figée, grise, sombre, pas un rai de soleil dans la clairière, pas un Pan-Pan sautillant, pas une grenouille dans la mare au diable. Pas de ciel, pas d'horizon, poussière tu es, poussière tu retourneras.
J'étais pourtant souvent assis en face, allez savoir pourquoi, les enfants aiment les animaux, non ? Alors je tournais la tête vers la fenêtre, cherchant la voie ferrée derrière les voilages ondulant dans le courant d'air, pour attraper un RER au passage, qui m'emporterait loin de la forêt maudite.
En tombant sur l'oeuvre de Daniel Spoerri, au musée d'art moderne de la ville de Paris, j'ai retrouvée intacte l'atmosphère du 45, rue Jean-Noël Pelnard, et malgré son collage pied-de-nez en 3D, j'ai replongé dans la même sinistre forêt profonde. Une tapisserie murale fanée, comme une capsule d'éternité.
Daniel Spoerri