vendredi 27 avril 2012

Madame Gutkowski

Irina Gutkowski répète à qui veut l'entendre qu'elle est la fille d'une héritière de la noblesse sicilienne et d'un officier de cavalerie polonais "toujours en première ligne". Irina Gutkowski est une élégante octogénaire qui glisse sur les dalles de son hôtel d'Ortygie dans une parfaite perpendiculaire de danseuse de ballet russe. Irina fait claquer son patronyme comme l'étendard de la droiture et de la bravoure de son père qui manqueraient tant aux Italiens "car il faut dire la vérité, Monsieur, ils ne savent pas ce qu'ils veulent." Ah, voilà. Mais cette détermination, fait-elle seulement défaut aux Italiens ou à tous les Européens dont quelques échantillons occupent ce matin la salle de petit déjeuner de l'hôtel Gutkowski ? Manque-t-elle à un territoire ou à l'époque ? Dans la voix de Madame Gutkowski, on entend la frustration d'un cœur que le corps ne suit plus tout autant que la nostalgie d'une époque flamboyante, mais surtout déception et reproche distribués à qui voudra les prendre. Le couple allemand s'esquive dans un sourire tandis que je me sers un deuxième café. Dans le dos de Madame Gutkowski l'eau miroite sous l'implacable azur.