mardi 27 septembre 2011

Souricière


C'est la nuit. Je grossis. Lentement. Régulièrement. Millimètre après millimètre. Tout mon corps grossit à vue d’œil, de la barbe au cul. Je m’arrondis, mou comme un ballon, dense comme un boulet, je m’étends nord sud est ouest. Mes membres disparaissent, et bientôt la pièce, que j’absorbe en la débordant. Et l’immeuble et la rue. J’engloutis tout ce qui m’entoure dans une lente vague inarrêtable. Je ne vois plus mon corps, mais je vois toujours, j’avale tout sauf mes yeux. Et je grossis toujours. J’étouffe au ralenti. Je me noie de mers, je me gave de continents. Tout y passe, et la terre et la lune et des millions d’étoiles, trou noir avalant les trous noirs. Et puis, soudain, au milieu de nulle part, le mouvement commence à ralentir. Je grossis toujours, mais plus lentement. Puis je ne grossis plus. Une seconde, et le mouvement s’inverse. Je maigris. Mais je ne régurgite pas l’univers. Je suis une aspiration prise dans une aspiration. Je me compresse. Je m’assèche. Le mouvement s’accélère, je me resserre autour d’un axe qui semble être mon corps d’humain perdu, que je retrouve un instant flottant dans l’espace, mais que je perds aussitôt, une fois encore. Je suis une brindille, un fil, de plus en plus fin, infiniment fin, qui va rompre. Et non. Juste avant de me déchirer, à l’extrême ultime limite, le mouvement s’inverse encore, et je grossis à nouveau. Lentement. Régulièrement. A nouveau. Sans fin ? Prisonnier de cet éternel va et vient, je ne perds pas conscience. Je cherche. Mais aucune passerelle tombée du ciel n'offrira d'issue de secours, pas un cavalier pour un pas de côté, nulle botte secrète... Je reste là, ni mat, ni pat, fait comme un rat.