dimanche 5 avril 2020

J'aime beaucoup ça.

J'aime la voix de Pierre Bergougnioux. Son timbre grave et la douce précision de son phrasé correspondent assez parfaitement à son style, à ses livres.
J'aime la jointure naturelle des deux plaques de quartz du plan de travail de ma cuisine. Pas parfaite, mais assez irréprochable, ne laissant passer aucune miette, pas un grain de sel.
J'aime la sonorité de la guitare de Sufjan Stevens dans l'album Carrie and Lowell, ronde et cristalline à la fois, brillante et douce, claire et caressante. Elle me rappelle la visière orange transparente d'une casquette de mon enfance, qui arrondissait les rayons du soleil. Cette casquette me rappelle les bracelets de bonbons, que je préférais aux malabars, dont j'aimais les vignettes de décalcomanie. Il me semble qu'on disait ça, vignette de décalcomanie. Les bonbons des bracelets avaient des couleurs douces, rose, jaune, bleu ciel, et blanc. J'aimais les oursons transparents aussi, surtout les blancs, qui me semblaient plus rares.
J'aime les visages de mes voisins de l'immeuble de la rue Pixérécourt, quand ils prennent place à vingt heures sur leur balcon pour applaudir. Leur sourire timide, leur détermination, leur joie de partager ce petit moment.
J'aime sentir sur mes bras la brise légère de ce début d'après-midi, qui lutte avec la chaleur du soleil, qui s'avouera bientôt vaincue, qui me caresse encore à peine.
J'aime le silence après l'album qui vient de se terminer.
J'aime le clic de mes interrupteurs, net et franc, mais que l'on peut adoucir en les retenant, en amortissant le basculement du mécanisme.
J'aime descendre et remonter le store de la fenêtre de la cuisine, surtout le descendre, promesse d'une après-midi lumineuse.
J'aime regarder loin, au-delà de la colline de Saint-Cloud et du Mont-Valérien, gris-bleus à cette heure, écrasés de soleil, comme j'aimais regarder le cimetière du Grand Jas, en face, et l'hôpital un peu plus haut, depuis le balcon de l'impasse des Cigales, à Cannes. Imaginer le paysage derrière, librement. Y placer la mer, ou les terrasses du Machu Picchu.
J'aime le contact de la corde de mi de ma guitare basse. Ce touché froid et râpeux sur la pulpe du majeur ou de l'index, est rassurant. L'épaisseur de la corde est juste celle qu'il faut. Même la note de mi est la bonne.
J'aime être vivant. J'aime beaucoup ça.