samedi 5 novembre 2011

Dans Le Circulaire Des Lilas

Quand Pierre tomba sur Amélie, il sut qu’elle était la femme de sa vie. Pour Amélie, la réciproque est plus difficile à affirmer, car si elle chavira, ce fut plus certainement sous les 80 kilos du bonhomme que sous son charme.
Etendu de tout son long sur Amélie, étendue de tout son long sur le plancher du bus circulaire des Lilas, Pierre lui avoua aussitôt qu’il était atteint d’amnésie antérograde sévère, ce qui ne l’empêchait pas de s’en souvenir et n’expliquait pas leur situation présente (bien que ce dernier point n’était pas totalement à exclure). S’il préférait l’informer sans attendre, c’était moins par peur d’oublier de s’excuser (car en ce cas il eût commencé par là) que pour qu’Amélie sache tout de suite sous qui elle était tombée. Car cela ne faisait aucun doute, Amélie était la femme de sa vie, comme Pierre le lui déclara sous les néons du bus circulaire des Lilas.
Il faut avouer que la position impossible dans laquelle se trouvait Amélie semblait lui convenir à merveille, et pas plus que Pierre, elle ne songea un seul instant à se relever.
S’ils retrouvèrent une position verticale, ils ne le durent qu’à la sollicitude de passagers inconscients de ce qui se jouait. Mais en tout état de cause, Amélie et Pierre sur pieds, le charme était rompu, et quelques minutes plus tard, elle descendit à la Mairie sans qu’il n’emboîtât son pas.
Le mardi suivant, lorsque les portes du bus s’ouvrirent à l’arrêt Pasteur, Pierre ne remarqua pas la baguette supérieure tordue de la deuxième marche sur laquelle son pied avait déjà pourtant buté par le passé. Une fois encore, il accrocha le décroché de la deuxième marche et perdit l’équilibre. Devant lui, une femme à l’air perdu hésitait entre aller plus avant ou redescendre du bus. Il eut juste le temps de lire sur sa veste « Je m’appelle Amélie, je souffre d’amnésie antérograde, mes coordonnées sont au verso ». Cette chute était un coup de pouce du destin. Quand Pierre tomba sur Amélie, il sut qu’elle était la femme de sa vie.